Invites

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La parole d’autrui, les paroles autres, sont d’une eau rafraîchissante, d’un oxygène léger et d’une substance étayante : sans elles, pas de vie.

  • 2022.08.20. Goynes. Isabelle Rougier, juge d'enfants et du travail

    Isabelle Rougier a exercé comme juge dans le champ de l’enfance maltraitée et dans le monde du travail. Elle témoigne de son trajet, et de la façon dont elle a pu, et su, faire face à la part humaine, imprévisible, profonde et précaire, de la réalité de la vie sociale, familiale et intime de tout sujet, quel que soit son âge, quel que soit la fragilité de son existence — tant il est vrai que, quand on croise la justice dans son cheminement social, c’est qu’une part de son existence a été fragilisée, ou est sortie de ce qu'il est convenu d’appeler la norme, c'est-à-dire ce « silence du corps » social. J’emprunte la métaphore du silence à Georges Canguilhem qui, lui, parle du « normal et du pathologique », et définit la santé par un tel silence. Comment, dans de telles situations, peut-il être fait réponse à cette fragilité sans pour autant l’humilier en faiblesse dans un rapport de forces qui, pourtant, est bel et bien au cœur du fait de dire la loi, de la réinscrire, voire de l’imposer ? Comment, à l’inverse, restaurer la légitimité d’une situation, d’une existence, d’un acte, d’une revendication ? Comment, surtout, est-il possible de faire ce métier si difficile qui consiste à dire ce qu’est la loi, sans perdre de vue ce qu’est la dignité des êtres qui, s’ils sont les sujets de cette loi, sont avant tout des sujets tout court ? C’est cette permanente conscience, qui est avant tout conscience de la fragilité de sa propre autorité, et du poids de sa propre responsabilité, qui s’entend au cœur du récit de vie que nous livre Isabelle Rougier. La conscience, aussi, du nécessaire dialogue entre différents points de vue, différents champs de pertinence, lorsqu’il s’agit de trouver la juste énonciation de la loi, par-delà les règles qui parfois sont soit aveugles, soit inexistantes : comment une juge passe la plus cruciale partie de son métier à écouter, pour s’assurer que sa parole, loin de se croire toute-puissante, participe du principe d’avant tout ne pas aggraver le mal. Mais également, la conscience que le dialogue est nécessaire quand, dans le champ de l’enfance en danger, c’est une loi symbolique qu’il s’agit d’instaurer, là où est manquante, voire impossible, la réglementation « automatique » qui règne dès lors qu’il s’agit de délinquance, voire de criminalité. C’est donc d’une certaine anthropologie au fondement de la loi juridique, et qui sait d’une certaine réflexion sur ce qui peut être une praxis juridique, jamais automatique, toujours complexe, qu’il s’agit dans cet entretien.
    À noter, par ailleurs, qu’Isabelle Rougier a croisé le trajet d’un autre grand juriste : Georges Apap, que l’on pourra retrouver dans la première des Arabesques sur le courage, mais également lors de la première saison du séminaire Sémiotique, pratique et clinique (page actuellement en réparation).

     

  • Maraudes et psychothérapie institutionnelle, des funambules sur le fil d’un rasoir.
    2022.10.01. Elne. Maire-France et Raymond Négrel. Maraudes et psychothérapie institutionnelle
    et 2019.03.16. Elne. Marie-France et Raymond Négrel. Maraudes et psychothérapie institutionnelle
    À Marseille et autour, de quoi relever un peu la fierté du mot « humanité ».
    Marie-France et Raymond Négrel, en plus de leurs mille autres vies ayant croisé le fou, le politique, l’humain, et le soleil de leur Méditerranée, celle qui accueille et celle qui prodigue, ont mis en place à Marseille et autour des maraudes avec des êtres dits « sans-abri ». Depuis longtemps maintenant. Ce fut d’abord avec Médecins du Monde, et récemment, c’est avec Psys dans la Cité. Mais surtout, c’est avec le désir irréfragable, l’abîme du malheur, la dignité sans faille, avec un engagement qui ne file de leçons à personne, mais qui conserve la passion de « passer », la même qui, avec d’autres, les fait aller au devant de ces autres qui se croient à jamais oubliés dans leur errance par ces contemporains qui méritent si peu d’être dits « leurs semblables », eux qui ne les voient même plus…
    Comment faire de la psychothérapie institutionnelle dans la rue ? Comment respecter l’irréductible singularité du désir en l’autre sans tomber, pour la meilleure raison du monde, dans la volonté de répondre à ses besoins, de le sauver de sa condition indigne ? Comment « accueillir le rien », comme dit Michel Balat, quand l’autre, précisément, ne nous demande rien ? Comment faire exister un monde à partir de vingt minutes passées sur trente centimètres carrés de bitume ? Une équipe, du groupe, fait présence sans pour autant nier la singularité d’une existence, d’une situation. Faire présence : aller au-devant d’êtres qui n’ont rien demandé ; s’engager dès lors à être-là, y compris sous la forme de repartir ; permettre au travail d’une analyse institutionnelle de se mettre en œuvre dans l’arrière-plan d’un travail régulier, souple, précaire, mais jamais interrompu ou s’épuisant dans un temps qui se voudrait rapidement efficace. Un temps ouvert, parfois fulgurant, mais sans aucune attente ; un temps fidèle, pour que, plus important encore que le temps, de l’espace s’ouvre : pas forcément pour « sortir de la rue », oh non, mais pour que cet espace où se tient un sujet redevienne autre chose qu’immonde : habité : un monde, un monde possible.
    La radicale négativité d’une éthique du désir n’a rien d’incompatible avec l’absolue immédiateté d’une rencontre, et l’inconditionnel engagement dans un compagnonnage assumant les effets d’une rencontre osée, proposée, au risque de se voir renvoyée sans aménité par un être qui ne demande rien. Accueillir le rien, aller au-devant du possible, avec des êtres en qui les contemporains passants ont depuis longtemps cessé de croire que du possible peut relever une existence cabossée, brisée, mais digne.
    Plus que jamais, la fragilité se distingue de la faiblesse : la fragilité d’une existence témoigne de ce que de la valeur, même scarifiée, y est encore à l’œuvre, en vie, en un devenir possible ; la faiblesse, elle, n’en est que la traduction dans un rapport de forces. Œuvrer à cette distinction, qui toujours risque de se boucher et de faire à nouveau s’écraser le fragile sous les oripeaux du trop-faible. Il est nécessaire de savoir se situer, soi-même et son agir, dans un rapport de forces, social autant que sanitaire ; mais il est tout aussi nécessaire, et beaucoup moins fréquent, de savoir que le rapport de forces n’est peut-être pas le cœur logique de ce qui fait la singularité d’une subjectivité vive, existante.
    En 2019, déjà, nos deux amis étaient venus nous parler à Elne, dans l’atelier d’art-thérapie institutionnelle de Florence Fabre, accueillis par La Tuché, l’organisme de formation d’Art&Motion.
    Cette fois, ils reviennent, remettre leur ouvrage sur notre métier, métier d’écoute, d’écho dans nos propres corps, corps sociaux, corps sensibles, corps, qui sait, grâce à eux, un peu mieux à même de ne pas laisser se noyer l’humain sous le semblant, et de mériter ainsi l’adjectif de « semblables ».
    Entre temps, est paru, sous la direction de nos amis Résistance et travail de rue, aux Éditions d’Une de Sophie Legrain. À lire d’urgence, une urgence devenue quotidienne hélas, au point que la notion même d’urgence devient presque une insulte à notre réflexion. Depuis quand n’est-il pas urgent de respecter le désir, l’angoisse, la souffrance, chez le moindre des êtres, sans qu’il soit pour autant estampillé « dans le besoin » ?
    D’autres entretiens, issus de la coopérative d’écriture, de La Tuché, questionnent ces situations si ambivalentes où, oui, il faut le dire, on se porte solidaire avec celles qui n’ont plus rien, dont la fragilité mais où, non, jamais on ne cède sur le fait qu’il s’agit de la moindre des choses, de la plus normale des solidarités.

  • 2021.12.17. CoopÉ. Souchard, Ianny, Vérité. ATD Quart-Monde, écriture, pertinence, dignité
    « Le contraire de l’espoir, ce n’est pas le désespoir, c’est le courage », dit l’autre. Notre coopérative d’écriture a eu l’honneur d’accueillir Alain Souchard, qui travaille à ATD Quart-Monde. Je laisserai Jérémy Ianni, son ami et ancien collègue, présenter cette séance. Peu de mots, quant à moi, sinon : merci.
    Je me contenterai de donner ici les quelques éléments de lecture ou de référence qui ont émaillé notre rencontre. La thèse de Geneviève Defraigne Tardieu « L’Université populaire Quart Monde : la construction du savoir émancipatoire » ; une présentation de la vie et de l’œuvre de Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart-Monde et le numéro de la Revue Quart-Monde qui lui est consacré ; Le numéro « Écriture de vie » de la Revue Quart-Monde ; des précisions sur les gens qui s’engagent ; l’exposition « Photos de bouts de monde » éclairant les liens que peut entretenir la photographie avec le souci d’écriture, d’inscription, de publicisation des réalités humaines. Et, en écho, Résistance et travail de rue, ouvrage dirigé par Marie-France et Raymond Négrel, autour des maraudes à Marseille (et s’inspirant de la psychothérapie institutionnelle).
    À écouter d’urgence, à réécouter tout de même. Nul n’entre ici s’il ne s’est purgé du « Soyons positifs »… Bonne façon d'accueillir, aussi, dans notre CoopÉ.
  • Pascal Nicolas-Le Strat déploie le concept de dispositif, par rapport à sa propre pratique, celle de la recherche-action, et déploie une éthique à la hauteur, ce qui ne court pas les rues. Cet entretien est à retrouver sur la page Invites de la partie « Séminaire coopératif ».
  • 2021.02.12. METLV. Christian Verrier, s’éduquer, penser, agir tout au long de la vie
    Le cheminement d’un vrai cheminot, qui est passé du rail, au syndicalisme, à l’enseignement, dans le département de sciences de l’éducation de Paris 8 et le laboratoire de recherche Experice, mais qui surtout est toujours resté fidèle à ce qu’est un cheminement d’existence, aux rencontres qui y désignent des escales, et parfois se poursuivent tout au long d’étapes plus ou moins longues, et qui au bout du compte finissent par dessiner un chemin de vie. Pascal Nicolas-Le Strat l’a invité à intervenir dans le séminaire « Éducation et politique », dans le cadre du parcours « Éducation tout au long de la vie » du mastère en sciences de l’éducation de Paris 8. Christian Verrier, décrit ici son parcours de recherche, mais aussi son cheminement d’existence. Le tout peut véritablement se lire comme une « enquête à travers différentes praxis », différentes praxis qui furent les siennes.